L'intégrité scientifique: Politiques de l'intégrité scientifique
Au niveau international
Sur le plan international, l’UNESCO publiait en 1974 une « Recommandation concernant la condition des chercheurs scientifiques », qui indiquait dans son article 10 : « Les États membres ne devraient pas perdre de vue que, pour être efficace, la recherche scientifique exige des chercheurs qui l'accomplissent des qualités d'intégrité et de maturité alliées à d'éminentes qualités morales et intellectuelles »[1]. L’intégrité scientifique est donc une préoccupation de longue date, qui a mis du temps avant de s’inscrire dans des dispositifs réels. Il faut souligner le rôle pilote des Etats-Unis, d’abord dans le domaine de l’éthique de la recherche, avec la création en 1974 des premiers IRB (Institutionnal Research Board), i.e. des premiers Comités d’éthique de la recherche, puis dans celui de l’intégrité scientifique, avec les premiers pas en 1986 de l’ORI (Office of Research Intregrity), qui a été réellement installé en 1992. Aux Etats-Unis, l’ORI est chargé de l’instruction des dossiers de méconduites.
Depuis les années 2000, plusieurs textes et événements importants ont marqué l’essor de l’intégrité scientifique au niveau international, notamment :
- en 2007, le Guide du Forum Mondial de la Science de l’OCDE, « Les bonnes pratiques pour assurer l’intégrité scientifique et prévenir la fraude scientifique », l’un des tout premiers textes de référence au plan international, définissant de manière synthétique l’intégrité scientifique et les méconduites.
- en 2010, la Déclaration de Singapour sur l'intégrité en recherche, qui définit les principes de l’intégrité scientifique.
Outre les états, les organisations internationales (comme l’OCDE), les institutions (comme la Commission Européenne), l’un des principaux acteurs de l’intégrité scientifique, au plan international, est la Conférence Mondiale sur l’Intégrité scientifique (World Conferences on Research Integrity), qui a organisé depuis 2007 (Conférence de Lisbonne) six congrès mondiaux de l’intégrité scientifique, regroupant de nombreux acteurs (voir sur le site WCRI). La WCRI est devenue en 2017 une fondation.
Au niveau européen
Depuis les années 2000, l’intégrité scientifique est devenue une préoccupation majeure des institutions européennes, qui n’a cessé de monter en puissance. Quelques repères essentiels :
- en 2005, la Charte européenne du chercheur et le Code de conduite pour le recrutement des chercheurs : si ce texte, qui accompagne une Recommandation de la Commission Européenne du 11 mars 2005, ne mentionne pas explicitement l’intégrité scientifique, il constitue un cadre de référence au niveau européen pour de futurs textes, qui institueront l’intégrité scientifique dans les pays membres ;
- en 2011, l’ALLEA (ALL Europeans Academies) publie le “European Code of Conduct for Research Integrity”, révisé en 2017 : texte reconnu par la Commission Européenne pour être une référence en matière d’intégrité scientifique pour tous les états membres de l’Union Européenne ;
- en novembre 2015, le Conseil de l’Union Européenne propose un projet de conclusions faisant de l’intégrité scientifique une priorité pour les politiques de recherche en Europe ;
- le processus de labellisation HRS4R : « La stratégie européenne de ressources humaines pour les chercheurs, également appelée « HRS4R » pour « Human Resources Strategy for Researchers », vise à améliorer les pratiques des organismes et établissements œuvrant dans le domaine de la recherche en matière de recrutement et de cadre d’exercice des chercheurs. ».[1] Ce processus et ce label s’adressent à tous les établissements de recherche ayant signé la Charte européenne du chercheur et le Code de conduite pour le recrutement des chercheurs, « et qui s’engagent dans un plan d’amélioration continue de leur stratégie RH sur une durée de 4 ans ». L’intégrité scientifique occupe une place centrale dans cette procédure d’amélioration des stratégies RH.
De même que l’éthique de la recherche, très présente au sein du Programme H2020, l’intégrité scientifique est devenue une dimension essentielle, incontournable des politiques de recherche de l’Union Européenne.
Enfin, outre les institutions européennes, ou scientifiques, comme l’ALLEA, il faut citer ENRIO (European Network of Research Integrity Offices), le Réseau européen des organisations d’intégrité scientifique (http://www.enrio.eu/), qui regroupe aujourd’hui 31 organisations de 23 pays d’Europe.
[1] AMUE, CPU. « La stratégie européenne de ressources humaines pour les chercheurs (HRS4R) ». Fiche zoom. Mai 2016. Disp. sur : http://www.amue.fr/fileadmin/amue/recherche/zoom/201605-zoom-Fiche_Strategie_HRS4R.pdf
Politique des éditeurs en matière d’intégrité scientifique : le COPE
« Le Comité d'éthique des publications (COPE) est une organisation à but non lucratif dont la mission est de définir les meilleures pratiques en matière d'éthique de l'édition savante et d'aider les editors, les éditeurs commerciaux, etc. à y parvenir » (COPE).
Le COPE (Committee on Publication Ethics) a été fondé en avril 1997 par un petit groupe d'éditeurs biomédicaux au Royaume-Uni. Au départ, il s’agissait d’un petit groupe informel, souhaitant discuter des cas de méconduites scientifiques dans le domaine des revues bio-médicales. En un peu plus de 20 ans, ce groupe informel est devenu une instance reconnue dans le monde de l’édition scientifique, qui regroupe aujourd’hui près de 13 000 membres, issus de tous les champs disciplinaires, de plusieurs dizaines de pays, représentant plus de 12 500 revues scientifiques, des éditeurs scientifiques, des associations…
L’une des missions principales du COPE est la publication de ressources nombreuses (plus de 800 documents) et variées sur tous les aspects de l’éthique de publication :
- une douzaine de Guides de bonnes pratiques ;
- de nombreux diagrammes, portant sur des points précis
- des études de cas ;
- des chartes, etc.
Conseil : lorsque vous voulez publier dans une revue, vérifiez sur le site de la revue si elle est adhérente du COPE et se montre donc soucieuse du respect de l’intégrité scientifique (cherchez sur le site du COPE).
Au niveau national : repères chronologiques, acteurs
Voici quelques repères chronologiques sur le développement d’une politique d’intégrité scientifique en France :
- 1999 : création, à l’INSERM, de la première Délégation à l’Intégrité Scientifique (DIS) ;
- 2010 : Rapport Alix, premier rapport officiel sur l’intégrité scientifique, malheureusement resté sans suites ;
- 2014 : première mention de l’intégrité scientifique dans le référentiel d’évaluation des entités de recherche par le HCERES ;
- 2015 : Charte française de déontologie des métiers de la recherche, déclinaison nationale de la Charte européenne, dont il faut souligner l’importance : signée dès le début par huit acteurs majeurs de la recherche française (la CPU, le CNRS, l’INSERM, l’INRA, l’INRIA, le CIRAD, l’IRD, l’Institut Curie), cette charte initie réellement le mouvement autour de l’intégrité scientifique, à la fois par l’exposé des principes, le nombre de signataires (50 en 2019) et l’engagement de leur responsabilité ;
- 25 mai 2016 : Arrêté sur la délivrance du diplôme de doctorat, qui rend obligatoire une formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique au cours des études doctorales ;
- juin 2016 : Rapport Corvol, Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique, rapport faisant 16 propositions concrètes, qui seront progressivement mises en œuvre. Avec la Charte française de déontologie..., le Rapport Corvol marque un tournant décisif dans la mise en place d’une véritable politique nationale d’intégrité scientifique ;
- 15 mars 2017 : Circulaire MENESR relative à la politique d'intégrité scientifique au sein des opérateurs de recherche (dite Circulaire Mandon) incitant notamment les établissements de recherche à nommer un référent intégrité scientifique ;
- 2017 : installation de l’OFIS (Office Français de l’Intégrité Scientifique), comme Département du HCERES ;
- 2018 : révision de la Charte de déontologie et d’intégrité scientifique de l’ANR, adoptée en 2009 ;
Concernant les acteurs institutionnels, responsables d’une politique d’intégrité scientifique au niveau national en France, voici les principaux organismes :
- le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, notamment à travers le Plan national pour la Science Ouverte, celle-ci étant considérée comme « un levier pour l’intégrité scientifique », car elle « favorise la confiance des citoyens dans la science » ;
- l’OFIS (cf ci-dessous) ;
- l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) qui « s’engage à veiller au respect des principes déontologiques dans l’exercice de ses activités », promeut la culture de l’intégrité scientifique et veille à prévenir les conflits d’intérêt dans l’évaluation des projets de recherche (cf aussi la Charte de l’ANR) ;
- le HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’EnseignementSupérieur), qui a fait de l’intégrité scientifique l’une de ses priorités, notamment en l’insérant dans les référentiels d’évaluation des établissements, des écoles doctorales et des unités de recherche ;
- la CPU (Conférence des Présidents d’Universités), l’un des premiers signataires de la Charte de déontologie des métiers de la recherche, et qui promeut l’intégrité scientifique dans les universités ;
- les organismes nationaux de recherche, notamment le CNRS, avec le COMETS (Comité d’éthique du CNRS), qui a publié de nombreux rapports, l’INSERM et la Délégation à l’Intégrité Scientifique, etc.
Au niveau national : l'OFIS
Créé à la suite du Rapport Corvol, l’OFIS (Office Français à l’Intégrité Scientifique) a une triple mission :
- une mission d’expertise : « coordonner la réflexion pour l’élaboration de référentiels, d’avis et de recommandations, accompagner les établissements d’enseignement supérieur et de recherche dans la mise en œuvre de leurs obligations, aider à l’organisation de médiations élargies » ;
- une mission d’observation : « piloter un observatoire national sur la mise en œuvre des engagements de la charte de l’intégrité scientifique et des pratiques conformes aux standards internationaux, assurer la veille et la diffusion des informations (notamment concernant les nouvelles formes que prend la recherche : sciences participatives, big data, ré-utilisation des données et « open science »), recenser les cas de manquements et leurs traitements » ;
- une mission d’animation : « contribuer à la définition d’une politique nationale de l’intégrité scientifique, favoriser l’harmonisation et la mutualisation des pratiques, coordonner et promouvoir les travaux du réseau des référents « Intégrité scientifique » des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, participer à la formation de ces référents, encourager la recherche dans le domaine, assurer le lien avec les Académies, représenter la France à l’échelle européenne et internationale. »
A noter : à la différence de l’ORI aux Etats-unis, l’OFIS n’a pas de mission de traitement et d’instruction des cas de fraude et de méconduite scientifique. Les dossiers de fraude et de méconduite se traitent au niveau des établissements.
L’intégrité scientifique dans les établissements
- Rôle-clé de l’opérateur de recherche :
Les « opérateurs de recherche » (i.e. les établissements d’enseignement supérieur, les organismes de recherche…) sont des acteurs essentiels de l’intégrité scientifique puisque, selon la Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche et la Circulaire Mandon de mars 2017, « le garant de l’intégrité scientifique est le responsable exécutif de l’opérateur de recherche » (i.e. le président de l’université, de l’organisme..). « Pour l’assister dans cette tâche et le représenter au niveau national au sein d’un réseau des signataires de la Charte, il désignera un référent à l’intégrité scientifique. ».
En France, l’instruction des cas de fraude, de méconduite scientifique, de même que l’élaboration des politiques de sensibilisation, de formation… se font donc au niveau de l’établissement.
- Les Référents Intégrité scientifique :
Dans un établissement de recherche, le Référent Intégrité scientifique est nommé par le président et ses missions s’articulent généralement autour des quatre axes suivants :- une mission de prévention, de sensibilisation, de participation à la politique d’intégrité scientifique de l’établissement
- une mission d’écoute des personnels, de conseil, d’expertise, sur les questions liées à l’intégrité scientifique, parfois à l’éthique de la recherche ;
- une mission d’instruction des allégations de manquement à l’intégrité scientifique : mission la plus sensible,
- > en tant que doctorant, vous pouvez saisir le Référent intégrité scientifique de votre établissement, pour lui signaler tout cas de fraude ou de méconduite scientifique, dont vous seriez victime ou témoin ;
- enfin une mission de représentation de l’établissement, auprès de l’OFIS, du RESINT, des partenaires extérieurs, etc.
En novembre 2019, 114 Référents Intégrité scientifique ont déjà été nommés (cf la « Liste des signataires des chartes et des référents intégrité scientifique »). Ils sont organisés au sein d’un réseau national, le RESINT (Réseau Intégrité scientifique), et travaillent par petits groupes de travail. Ainsi, un Groupe de travail du RESINT a élaboré un « Guide pour le recueil et le traitement des signalements relatifs à l'intégrité scientifique », servant désormais de procédure commune pour l’instruction des dossiers.